WEEK-END HISTOIRE. Chez Charles Trenet, de Narbonne à Paris en passant par Perpignan, y'avait pas que d'la joie...

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  • Lucien Trenet fête ses 75 ans en 1957, aux côtés de son fils.
    Lucien Trenet fête ses 75 ans en 1957, aux côtés de son fils. L'Indépendant - PONTHUS
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Le Fou chantant a grandi à Narbonne, étudié à Béziers, vécu à Perpignan, sur fond de maux d’enfance. Et plus tard, il a dû assumer son rôle sous l’Occupation et une homosexualité stigmatisante.

S’il était encore vivant, Charles Trenet aurait eu 111 ans ce 18 mai. Il disait "Je fais des chansons comme un pommier fait des pommes". Un millier sur l’arbre lourd de sa discographie. Que reste-t-il de nos amours ?, Y’a d’la joie, Je chante, Douce France, Le soleil et la lune, Vous qui passez sans me voir, Nationale 7, Boum, Le jardin extraordinaire… Le tout dans une légèreté étourdissante, sur fond de jazz, de swing et de surréalisme.

Trenet a chanté son attachement au Languedoc et au Roussillon. Maman, ne vends pas la maison, d’abord, avant une kyrielle de morceaux dans les années 50 : La jolie sardane, La cité de Carcassonne, Font-Romeu, Mes jeunes années, Narbonne mon amie, Que veux-tu que je te dise maman ?. Et bien sûr La mer

En 1974 à Perpignan, il sort de sa voiture pour saluer la foule.
En 1974 à Perpignan, il sort de sa voiture pour saluer la foule. L'Indépendant

C’est à Narbonne que Charles naît. La famille est déjà à Saint-Chinian, dans l’Hérault, un peu plus à l’est. Son père Lucien y est notaire. Mais pas question pour Marie-Louise, sa mère, d’accoucher autre part que dans sa ville natale à elle, glorieuse capitale de province romaine. Saint-Chinian n’est à ses yeux "bourg reculé, enchâssé par les vignobles du Minervois", sans gaz ni électricité, raconte Jean-Philippe Ségot dans sa biographie, Charles Trenet à ciel ouvert (chez Fayard). Ils reviennent à Saint-Chinian mais pour peu de temps.

Les plaisirs du littoral

Né à la veille de la Première Guerre, en 1913, il doit au conflit mondial de revenir à Narbonne. Lucien, son père, est mobilisé. "Maman nous emmenait au bord de la mer, a raconté Trenet. Sur les étangs de Bages, de Sigean, de Gruissan ou à La Nouvelle. Le littoral du Languedoc était dédaigné par les touristes. C’était un vrai paradis de moustiques, battu par les vents, peuplé d’oiseaux migrateurs, où régnaient les pêcheurs, les chasseurs. Avec l’augmentation des cours du vin, les négociants plantaient des vignes tout autour de Narbonne."

Dali et Trenet, deux artistes fous à leur manière.
Dali et Trenet, deux artistes fous à leur manière. L'Indépendant - BARDE

Les Trenet louent une cabane de pêcheurs toute blanche, à La Nouvelle. "C'est donc à La Nouvelle que Charles découvre cette mer qui le rendra célèbre dans le monde entier !", souligne Ségot. En compagnie de son frère Antoine, il vit entouré de trois femmes : sa mère, sa "tantoune" Émilie et sa grand-mère Marie-Anne, qui meurt de la grippe espagnole en 1918. C’est son premier "vrai chagrin".

Lucien est démobilisé au printemps 1919. Le couple ne revivra plus ensemble. Marie-Louise est tombé amoureuse du réalisateur allemand Benno Vigny, blessé de guerre à Narbonne. Charles est pensionnaire à Béziers chez les Frères de la Trinité,  "exilé dans un univers hostile et glacial" insiste Jean-Philippe Ségot. Il a sept ans. "Je suis sûre que de ces jours d’internat, chose commune pour les autres enfants, mais pas pour un être hors du commun comme Charles, date cette mélancolie intermittente qui transparaît dans son œuvre", a assuré sa mère.

"Mon enfance a été un peu passée à côté"

"Mon enfance a été un peu passée à côté, éclipsée par les situations de famille, les choses compliquées que je comprenais trop bien", assure le chanteur. "J’avais peur des femmes de Barbe bleue, peur des placards dans la maison de Narbonne, et de la guerre dont j’avais l’impression que ce serait toute la vie."

Il suit son père qui s’’installe à Perpignan. "S’il a aimé Narbonne, la ville de sa petite enfance, il va adorer Perpignan, car la ville possède du caractère et un sacré tempérament catalan, résume Jean-Philippe Ségot. À Narbonne la paisible, la trop provinciale, il va préférer, à l’heure de l’adolescence, cette sorte d’antichambre du Paris de l’art et des lettres auquel il rêve."

C’est à Perpignan qu’il rencontre un ami de son père, Albert Bausil, "son pygmalion". Il lui fait découvrir la littérature (Trenet participe à la revue Le coq catalan de Bausil) et sans doute un peu plus… Jean-Philippe Ségot évoque les "amours" entre "cet homme d’une cinquantaine d’années et ce gamin de quatorze ans". Trenet imitera son mentor en recherchant la compagnie de jeunes hommes.

Max Jacob et Jean Cocteau

"Bausil est la joie de vivre, la fantaisie même, la douce et tendre folie qui embellit l’existence. Il le répète sans relâche au jeune Charles, qui en fera l’une des devises de sa vie, son éternel credo." Y’a d’la joie !

Bausil était aussi "un polémiste impitoyable" au "croc dur". Comme Trenet, qui savait être mordant. Ses colères et ses caprices sont restés mémorables. C’est aussi par l’intermédiaire de Bausil que Trenet fréquente les artistes Max Jacob et Jean Cocteau.

À 15 ans, viré de son lycée pour avoir insulté le surveillant général, il rejoint sa mère à Berlin, avant de monter à la capitale à 17 ans pour devenir vite la coqueluche du Tout-Paris. La chanteuse Mireille, voisine de Cocteau, lui met le pied à l’étrier. C’est à Paris qu’il étincelle, enfin à son aise.

Trenet aurait pu laisser intacte l’image frétillante du Fou chantant mais la vie en a voulu autrement. S’il gardait les traces d’une enfance traumatisante, il dut assumer un passé peu glorieux sous l’Occupation et une homosexualité stigmatisante (lire ci-dessous). La mort de sa mère, en 1979, fut "sa vraie tragédie", assure l’un de ses biographes, Jacques Pessis. "Il faisait semblant d’être heureux."

Trenet a fait de nombreuses tournées à l'étranger. Ici en Hollande.
Trenet a fait de nombreuses tournées à l'étranger. Ici en Hollande. Anefo/Pot

Le sparadrap qui lui a collé à la peau toute la vie

Le capitaine Haddock avait son sparadrap. Trenet aussi. Collé, au fil des années, sans pouvoir s’en débarrasser. Le soupçon de collaboration pendant la Seconde guerre, d’abord. Il signe des hymnes repris par Vichy. Trenet va où le vent lui apporte le succès. A l’issue de la guerre, une commission d’épuration le condamne à huit mois d’inactivités, ramenés à trois.

Il est victime ensuite d’une homophobie latente. En 1948, il s’attend à triompher à New York. Il est en fait emprisonné au centre d’immigration d’Ellis Island, pour soupçon d’homosexualité, au pays du puritanisme. La justice américaine s’appuie sur une vieille condamnation pour attentat à la pudeur, à Vernet-les-Bains, dans les P.O. A 17 ans, il avait folâtré avec un garçon de son âge.

Libéré des geôles d’Ellis Island 26 jours plus tard, il fait la promesse d’un mariage qui ne verra jamais le jour. Quinze ans après, il est condamné en 1963 à un an de prison avec sursis, avant de bénéficier d’un non-lieu en appel. Il a fait tout de même un mois de prison. Son homme à tout faire l’accusait d’avoir été chargé de rabattre des jeunes hommes de 19 et 20 ans (la majorité est à 21 ans) pour son compte dans sa maison d’Aix-en-Provence. "Je vous avouerai qu’à un certain moment, je me suis dit Peut-être que ma vie est terminée, ma vie artistique ou ma vie tout court."

La France est secouée par l’affaire des Ballets roses, agressions sexuelles sur mineures. Le pendant est tout trouvé : Trenet se voit accusé d’orchestrer des "ballets bleus", soupçonné de pédophilie. Sans même cela, l’homosexualité, pénalisée depuis une loi vichyste de 1942, peut l’emmener en prison. "Les jeunes c’est frais, c’est de bonne humeur, c’est bien disposé", dira Trenet.

Le Fou chantant a été ringardisé par les yéyés dans les années 60, parfois black-listé. Ecarté des décorations. Avant l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, qui lui remet la Légion d’honneur, et le coup de pouce d’une nouvelle génération de chanteurs se revendiquant d’une filiation, comme Jacques Higelin. Le groupe Carte de séjour reprend une métissée Douce France.

Mais le sparadrap ne quitte pas Trenet à sa mort, le 19 février 2001, à l’âge de 87 ans. Il a légué sa fortune à son secrétaire particulier, Georges El Assidi. Celui-ci en a confié la gestion à une société qui, selon lui, l’a abusé. Et il a dû aussi faire face à des recours de la demi-sœur et du neveu du chanteur pour abus de faiblesse. Au terme de nombreuses procédures judiciaires, Georges El Assidi est désormais officiellement seul héritier.

 

Collioure et la mer Méditerranée, chantées par Charles Trenet.
Collioure et la mer Méditerranée, chantées par Charles Trenet. Max Berullier

Hymnes à l'Aude et aux Pyrénées-Orientales

Charles Trenet a chanté l’Aude et les Pyrénées-Orientales au fil de ses souvenirs de jeunesse, éminemment nostalgiques. Petit florilège non exhaustif en chansons… Maman, ne vends pas la maison (1935), d’abord : "Je sais qu’la vie est dure, papa n’vend plus d’peinture alors qu’il roupille jusqu’à minuit. Je sais que tu n’as plus d’argent comme avant. Maman, ne vends pas notre vieille maison, j’vais gagner bientôt l’million. Je t’achèterai des robes, des chapeaux, des bijoux qui brillent et une petite auto. Gardons le couloir, l’échelle du grenier, et la bonne qui boîte d’un pied, le vieux fourneau rougi, le chant qui fait ronron. Maman, ne vends pas la maison […]."

Il y eut aussi, bien sûr, La mer (1946)  : "La mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs, a de reflets d’argent. La mer, des reflets changeants, sous la pluie. La mer, au ciel d’été confond ses blancs moutons avec les anges si purs. La mer, bergère d’azur infinie. Voyez, près des étangs, ces grands roseaux mouillés, voyez ces oiseaux blancs et ces maisons rouillées. La mer les a bercés le long des golfes clairs et d’une chanson d’amour. La mer a bercé mon cœur pour la vie."

Mes jeunes années (1950) : "Mes jeunes années courent dans la montagne, courent dans les sentiers, plein d’oiseaux et de fleurs. Et les Pyrénées chantent au vent d’Espagne, chantent la mélodie qui berça mon cœur […]."

La cité de Carcassonne (1951) : "Devant ces vieux murs mon cœur en frissonne, au lieu des armures des airs de jazz résonnent. Ils vont danser l’bebop et c’est un succès fou. Dans les donjons, y’a des trombones heureux qui soufflent des chansons pour les cœurs amoureux. Et jusqu’au fond des vieux mâchicoulis on entend, jour et nuit, des cris, des cris […]."

La Jolie sardane (1952) : "Amis, c’est la fête à Collioure. On a pavoisé le vieux port. Et devant la mer qui l’entoure, voici l’éternel clocher d’or. Sur les galets, vertes et roses les barques aux tendres couleurs commencent la métamorphose. De leurs voiles changées en fleurs et sous la lune vagabonde la sardane forme sa ronde. Qu’elle est jolie la sardane que l’on danse main dans la main […]".

Il a aussi chanté Font-Romeu (1953) et son "ermitage où j’aimerais tant revenir pour admirer le paysage".

Evidemment Route nationale 7 : "De toutes les routes de France d'Europe, celle que j'préfère est celle qui conduit en auto ou en auto-stop vers les rivages du Midi. Nationale 7, il faut la prendre qu'on aille à Rome à Sète, que l'on soit deux trois quatre cinq six ou sept, c'est une route qui fait recette".

Et Narbonne mon amie (1961) : "Au revoir pays des songes du temps de mon enfance, où le fiacre de Monge m’emportait en vacances. Au revoir la ville entière, la visite est finie. Au revoir le cimetière où dort tante Émilie."

 

La maison natale de Charles Trenet, transformée en musée.
La maison natale de Charles Trenet, transformée en musée. Françoise Tallieu

La maison muée en musée

La maison natale de l’artiste, c’est celle où "y’a des souvenirs au fond de chaque tiroir, des parfums dans les placards", chante-t-il dans Maman, ne vends pas la maison.

Elle a été réhabilitée et transformée en musée, grâce à l’insistance de trois admirateurs reconnus : le dessinateur Cabu, le documentariste narbonnais Marc Azéma et l’un des biographes de Trenet, Jacques Pessis.

La scénographie interactive mêle documents d’archives et souvenirs personnels. Le musée, géré par la Ville de Narbonne, est situé au n°13 de ce qui est devenu l’avenue Charles-Trenet.

Entrée 4 €. Tel : 04 68 58 19 13.

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