INTERVIEW. Écrans chez les enfants : une psychologue nous explique les impacts du téléphone sur les plus jeunes

  • Une psychologue donne ses conseils.
    Une psychologue donne ses conseils. ILLUSTRATION UNSPLASH. - Onur Binay
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Sophie Baudoin est psychologue pour enfants dans l’Hérault. La créatrice de "Sac à dos" rencontre régulièrement des jeunes très connectés. Elle met en garde sur les comportements à adopter pour que le téléphone portable ne perturbe pas leur développement.

Quels sont les impacts du téléphone sur le développement de l’enfant ?

Ils vont avoir des problèmes de concentration, ils vont être complètement absorbés. Les écrans, ce sont des shots de dopamine qui vont venir saturer le système de récompense. Plus il en aura, plus ils vont en vouloir. Si on met un enfant pendant un quart d’heure devant la télé le matin, on va épuiser toutes ses ressources intentionnelles de la matinée. Un enfant exposé à ce genre de stimulations aura moins conscience de ses sensations corporelles : il va manger moins que sa faim, ou plus, ou bien il va oublier de manger. Il y a des enfants qui oublient de boire, ou d’aller aux toilettes. Et pendant ce temps-là, il n’est pas dans un effort de langage, ni de socialisation. Par exemple, il n’y a rien de plus stimulant pour un enfant que d’apprendre avec ses mains. Pendant qu’on est en train de jouer à un jeu vidéo, on ne socialise pas, on est passif. Minecraft ne remplacera jamais un jeu de Lego.

Cet impact va dépendre de l’âge de l’enfant ?

C’est tout au long du développement que ça aura un impact, et la maturité cérébrale s’arrête aux alentours de 25 ans. Si on sature l’attention de l’enfant, il aura plus de difficultés d’apprentissage.

L’utilisation des écrans peut-elle jouer sur le langage ?

Le développement du langage dure toute la vie. Or, le vocabulaire, s’il n’est pas stimulé, il se perd. Si on ne stimule pas le langage et qu’on n’expose pas l’enfant à un registre soutenu, ou au moins courant, il perd l’habitude. Sur les réseaux sociaux, on ne parle pas, on ne cherche pas ses mots, on ne développe pas le langage, on n’entretient pas dans le cerveau un stock de vocabulaire assez développé. Maintenant, il y a aussi ce qu’on appelle des "vocaux", alors on se retrouve avec des enfants qui n’écrivent même plus. Le numérique ne remplacera jamais l’apprentissage avec un adulte, parmi d’autres enfants, par le contact direct.

Et sur l’anxiété ?

Le téléphone peut être un moyen d’évitement pour des enfants qui ont tendance à être anxieux. Dans une salle d’attente, dans un moyen de transport… Ça va être une manière de ne pas parler aux autres. Et plus il va éviter, plus il va maintenir son habitude. Car oui, parler aux autres, ça fait peur. Moins on s’entraîne de ce côté-là, moins on aura le langage pour y aller.

Les parents rencontrent-ils des difficultés directement liées au téléphone ?

Généralement, les parents ne viennent pas me voir en accusant le téléphone. Mais il y a très souvent, par-dessus les troubles pour lesquels ils consultent, une suspicion liée aux écrans. Il ne faut pas faire de généralités, mais plutôt s’interroger. Des troubles du comportement, un enfant qui va être opposant, qui manque de concentration à l’école, qui a des troubles de l’alimentation, de sédentarité, un manque de vocabulaire… On va poser la question du portable. Avant d’aller vers un diagnostic, c’est bien de faire le point sur les habitudes de vie. Même si les écrans ne provoquent pas de troubles seuls, ils peuvent être parmi les facteurs de risque.

Quels sont les effets bénéfiques de l’utilisation d’un téléphone portable ?

Ça a pu avoir des effets bénéfiques pour des jeunes qui étaient complètement isolés socialement pendant le confinement. Des enfants uniques par exemple, qui n’avaient personne avec qui jouer, échanger sur ce qu’ils faisaient en classe… Tout dépend du contenu et du cadre. Si on s’écrit entre ados pour se dire : “On va se retrouver à tel endroit, tel jour”, c’est bien. Parce qu’il y a un rapport avec la vraie vie. Si c’est pour parler de contenus visionnés sur les réseaux sociaux, de jeux vidéo… On ne sort pas du virtuel et il vaut mieux se retrouver dans la vraie vie pour en parler. Plus ils sont connectés virtuellement, plus ils sont déconnectés de la réalité.

Comment bien gérer l’arrivée du téléphone portable à la maison ?

Les enfants, si on leur pose une interdiction sans leur expliquer pourquoi : ils y vont. En revanche, on peut limiter le contenu et le temps d’utilisation. Il faut aussi contrôler les fréquentations de l’enfant : les messages, un potentiel harcèlement, il faut surveiller. Pour s’assurer que son enfant n’est pas en danger, qu’il n’est pas harcelé, mais aussi s’il représente un danger, s’il est harceleur. Et toujours bien communiquer.

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